OÙ NOUS RAPPORTONS


Traduire page avec Google

Article Publication logo septembre 30, 2022

Brésil: Une Nouvelle Ruée Vers L’or Ravage Le Territoire Yanomami

Pays:

Auteur:
gold mining in Brazil
Anglais

In the Brazilian Amazon, at the Venezuelan Border, the Yanomami people are facing a ruthless...

author #1 image author #2 image
Plusieurs auteurs
SECTIONS

Dans l’État de Roraima, quarante ans après une première ruée vers l’or, les orpailleurs illégaux sont deretour en masse dans le territoire Yanomami, favorisés depuis l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro. À laveille de l’élection présidentielle, les orpailleurs tentent de pousser leur avantage.

Waikas (Brésil).– Vues du ciel, de longues taches jaunâtres déchirent le manteau vert de la forêtamazonienne. Non loin de la frontière avec le Venezuela, au nord du territoire Yanomami, les sitesd’orpaillage se succèdent le long du fleuve Uraricoera.

Le pilote vole bas mais ne peut s’approcher trop près. Il craint autant les menaces que les nombreux avions affrétéspar les orpailleurs, qui rasent la canopée pour éviter les radars. Au sol, le village de Waikas est en première ligne. Icihabitent les Yek’wana, l’un des huit peuples présents sur ce territoire de la taille du Portugal. 

« L’orpaillage illégal, le garimpo, a tout bouleversé. Notre fleuve est devenu boueux, contaminé. On ne peut plus pêcheret le gibier a fui, loin du bruit des moteurs », détaille Julio Yek’wana, l’un des leaders. Toute leur société estperturbée.


En tant qu'organisation journalistique non lucrative, nous dépendons de votre soutien pour financer le journalisme qui couvre les sujets peu médiatisés  dans le monde. Faites un don aujourd'hui, quel que soit le montant, pour devenir un Champion du Centre Pulitzer et avoir d'avantages exclusifs!


Un phénomène relativement récent inquiète Mauricio Yek’wana, de l’association Hutukara. « Avant, ils seconcentraient sur les leaders, maintenant, ils cooptent les jeunes, plus faciles à appâter. Tout a empiré. »

Durant deux ans, Robervaldo a été l’une de ses recrues. « Ils t’abordent en offrant beaucoup d’argent. Petit à petit, lesjeunes ne soutiennent plus la communauté. Manipulés par les orpailleurs, ils reviennent au village alcoolisés, entrenten conflit avec les leaders... »

Dans cette aldeia de quelque deux cents personnes, une dizaine de jeunes travaillent en ce moment pour lesenvahisseurs. Dans certains coins, des armes leur sont distribuées et les conflits peuvent dégénérer.

Pour tenter de contrer cette influence, les Yek’wana développent depuis 2019 la culture du cacao.


Vue aérienne d’une exploitation d’orpaillage illégale à Waikas, au Brésil, près de la frontière vénézuélienne, en territoire Yanomami, en août 2022.  Photo par Victor Raison/Mediapart.

« Plus besoin du garimpo ou d’aller en ville pour avoir de l’argent. C’est notre futur, pour oublier l’orpaillage etpréserver la forêt », rêve Julio. Après une première expérience peu fructueuse, une récolte de 400 kg de fèves estattendue cette année. Vendu 37 réaux le kilo (8 euros), le cacao ne peut rivaliser avec l’or mais représente unesolution. « Difficile de s’opposer directement, ils nous menacent de mort si on les gêne. »

Le lendemain, un petit groupe de Yek’wana remonte l’Uraricoera pour montrer l’ampleur du désastre.

De nombreux campements perturbent la monotonie impressionnante des murs d’arbres qui encadrent le fleuve.Signes annonciateurs de garimpos, ce sont souvent des bars et des bordels qui font le plein malgré l’heure matinale.Les Yek’wana font une halte sur un cratère abandonné il y a deux ans. Un moteur rouillé affleure au milieu du trou,devenu un lac nauséabond prisé par les moustiques. Quelques herbes folles ont repoussé, tout autour les arbressont morts. « Ils l’ont abandonné au bout d’un an pour aller un peu plus loin, seul l’or facile d’accès les intéresse »,assure Walter, pétoire en main.

Non loin, une immense exploitation s’étend sur les deux berges du fleuve. Des colonnes de fumée s’échappent àcôté de pompes à moteur qui déversent de la boue sur des sortes d’échafaudages précaires. L’or y est filtré pour êtreensuite agrégé par l’utilisation de mercure.

Dans cette zone du territoire particulièrement dangereuse, il faut se faire discret pour éviter de graves ennuis. Ungang puissant la domine depuis 2018. De retour à Boa Vista, la capitale de l’État, Roberto*, un ancien travailleur ducoin, raconte son expérience. « Tu gagnes bien, mais c’est très tendu. J’ai vu trois assassinats en un mois. »


Sur les rives de la rivière Uraricoeira, au Brésil, en août 2022, le point de départ, en bateau, des travailleurs vers l'exploitation illégale de l'or. Photo par Victor Raison/Mediapart.

Malgré cette violence, les candidats sont légion, plus encore depuis la pandémie et la crise sociale qui perdure.« Quand tu débarques, tu dois attendre qu’une place se libère pendant au moins un mois. »

Sans contrôle efficace, l’or sale est vite injecté dans les circuits légaux. Il n’existe aucun site d’orpaillage légal auRoraima, mais on achète le métal précieux sans sourciller dans les diverses boutiques des « rues de l’or » qui ontfleuri dans sa capitale. Le gramme s’y vend aux particuliers à la cotation du jour (275 réaux, soit 53 euros) mais levrai business se joue dans l’arrière-boutique.

Une fois acquis, l’or part pour Manaus notamment, où il est légalisé par une simple déclaration de bonne foi signéepar le vendeur aux acheteurs autorisés par la Banque centrale. Selon une enquête de « Repórter Brasil », l’or estalors commercialisé dans le sud du pays, puis à l’international, jusqu’à se retrouver chez des géants comme Apple,Google ou Microsoft.

Avec autant d’argent en jeu, une bonne part de la population, l’élite locale et les hommes politiques soutiennentl’activité. La culture du garimpo est bien ancrée au Roraima, peuplé principalement après les découvertes degisements dans les années 70 et 80. Le climat politique favorable, la pandémie et l’explosion du cours de l’or ontréveillé ces vieux instincts.

Le soutien de Bolsonaro aux orpailleurs

Rodrigo de Mello, dit Cataratas, se verrait bien député fédéral. Sur un carrefour de Boa Vista, il serre quelques mainsd’automobilistes assourdis par le son de ses slogans électoraux. Un peu plus tôt, ce leader du « mouvementorpaillage légal » a réuni des journalistes à une conférence de presse pour tenter de balayer les soupçons sur sonimplication dans le garimpo ou sur la tentative supposée d’incendier un hélicoptère dans les locaux de la policefédérale. Il rejette tout aussi bien ces accusations que l’impact négatif de l’activité.

« Il n’existe ni dégradation ni pollution. Les autochtones et les ONG font des fausses dénonciations pour criminaliserl’orpaillage et empêcher la population d’accéder aux richesses si convoitées de notre Amazonie. » Avec Jair Bolsonaro, lediscours s’est radicalisé. Les théories paranoïaques du régime militaire se sont popularisées et les partisans del’économie de l’or comptent sur sa réélection pour pousser leur avantage. Le président d’extrême droite cherche àlégaliser l’orpaillage en terre autochtone. C’était d’ailleurs l’une de ses promesses de campagne de 2018.


Une exploitation aurifère illégale le long de la rivière Uraricoera, près de la communauté Waikas, au Brésil, en septembre 2022. Photo par Victor Raison/Mediapart.

Il y a trente ans, alors que 20 % de la population Yanomami avait été ravagée par les maladies, le Brésilreconnaissait officiellement la terre Yanomami à l’issue d’une forte mobilisation. D’importantes opérations en ontexpulsé la plupart des envahisseurs.

Aujourd’hui, le procureur du ministère public fédéral, Alisson Marugal, dénonce cependant un « modèle déficient ».En 2021, sur quatre cents zones d’orpaillages recensées, seulement neuf ont été l’objet d’opérations. « L’activité sedéveloppe sans contrôle, dit-il. L’Internet installé illégalement sur place leur permet d’anticiper les actions desautorités et facilite leur logistique. » Car ces organisations n’ont plus rien d’artisanales et le ravitaillement par voieaérienne ou fluviale est essentiel.

L’une des bases arrière se trouve sous un pont, à une grosse heure de Boa Vista, sur le fleuve Uraricoera, ouvrantl’accès nord du territoire Yanomami. Désactivée en 2017, la Bape (base de protection ethno-environnementale),censée gêner les incursions sur ce fleuve, n’a toujours pas repris du service, malgré une décision judiciaire en 2020.

En fin d’après midi, un petit bar amorphe s’anime avec l’arrivée de gros pick-up venus remplir des bateaux de16 mètres. Une femme s’installe à califourchon sur un immense tube posé en équilibre sur des jerricans et desfournitures. La voilà partie pour six jours de voyage jusqu’aux exploitations en amont.

Rares témoignages des maigres efforts des autorités, les restes de deux grandes embarcations brûlées n’intimidentpas les pilotes sur le départ. Une pêcheuse déplore cette influence grandissante. Menacée de mort, elle dort avecdeux armes et préfère rester anonyme. « Plus personne ne pêche ici. Tous gagnent bien plus avec les orpailleurs. Ilsvendent de la nourriture, de la bière, gardent les bateaux ou l’essence. » Pour chaque barque gardée, un pêcheur peutespérer 300 réaux (60 euros) par jour. Sur le terrain d’une femme méfiante, des dizaines de jerricans de carburantsont entreposés. Les zones de stockage sont camouflées dans des igarapés, de petits affluents discrets. Devant l’uned’elles, un individu patibulaire intime de déguerpir, un fugitif serait caché sur place, apprend-on plus tard.


Ehuana Yanomami, une des rares leaders féminines, dénonce le calvaire imposé aux femmes par les orpailleurs. Photo par Victor Raison/Mediapart. Brazil, 2022.

Le mercure utilisé par les orpailleurs a un impact bien au-delà du territoire Yanomami. Selon une étude récente del’Institut socio-environnemental, il se retrouve dans la chaîne alimentaire, et la majorité des poissons vendus à BoaVista sont contaminés bien au-delà du seuil tolérable. 

« C’est l’unique travail fait sur ces poissons. Les pouvoirs publics semblent se désintéresser du sujet et n’ont jamais analysé l’impact du mercure sur les habitants », explique Ciro Campos, responsable de l’étude. En revanche, une forte contamination des Yanomami est déjà constatée,entraînant des naissances prématurées et des malformations.

Plus globalement, Júnior Hekurari, président du Conseil de santé Yanomamis et Yek’wana (Condisi-YY), estdésespéré. « À cause du manque de soin, chaque semaine, deux ou trois enfants meurent de maladies simples, dediarrhée, de vers... Le gouvernement nous délaisse, répète qu’il a investi 40 millions d’euros dans la santé, mais on n’ena jamais vu la couleur. » Partout, les médicaments manquent et le taux de dénutrition comme celui de la mortalitéinfantile augmentent.

Júnior interrompt l’interview pour s’occuper des funérailles de trois enfants à l’ouest du territoire. Depuis 2021,9 000 enfants n’ont plus accès au traitement contre la parasitose intestinale. Certains finissent par vomird’immenses vers. Le MPF enquête en ce moment sur des pratiques illicites lors de l’achat et la distribution de cesremèdes.

Les ravages des maladies

Dans plusieurs points de l’ouest du territoire, les orpailleurs occupent les postes de santé et il n’y a plus decouverture médicale. À Waikas, il n’y a ni infirmier ni médecin, seulement deux techniciens de santé qui ont dûgérer jusqu’à dix cas de paludisme par semaine lors d’un afflux récent de patients. La maladie prospère dans lesgarimpos et s’étend aux alentours. Tous les Yek’wana disent avoir été contaminés et le TI Yanomami est le territoireautochtone le plus touché du Brésil. Les malades ne participent plus aux activités communautaires, commel’agriculture ou la chasse. La faim s’aggrave alors et les communautés se retrouvent dépendantes des orpailleurs.

Ehuana Yanomami, l’une des rares femmes leaders, décrit le calvaire de ses contemporaines. « Les femmeséchangent de la nourriture contre du sexe. Au-delà de ces relations abusives, elles peuvent aussi être enivrées. Elles sontalors violées par de nombreux hommes. » Quatre femmes forcées à se prostituer se sont suicidées ces derniers moisdans la communauté d’Aracaçá. Alisson Marugal s’y est rendue pour enquêter sur le viol et le meurtre d’une enfantpar des orpailleurs. « Nous n’avons pas trouvé de preuves, mais cette communauté est en passe de disparaître. De 40avant l’arrivée du garimpo, ils ne sont plus que 25. »

Alors que la campagne présidentielle bat son plein, beaucoup d’autochtones placent leurs espoirs en Lula. Face à lapuissance de l’orpaillage, personne ne croit à un miracle et la situation pourrait dégénérer en cas d’actionénergique des autorités. Mais ils espèrent au moins limiter une invasion hors de contrôle. Aujourd’hui, on compteplus de 20 000 orpailleurs pour moins de 30 000 autochtones.