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Article Publication logo janvier 23, 2023

Congo-Brazzaville: Chasse Illégale en Toute Impunité Dans la Forêt du Mayombe

Auteur:
An aerial shot of a tropical mountain range in the Congo Basin.
Anglais

The risks of disappearance incurred by the Mayombe forest massif due to uncontrolled...

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Imagem par Farm Radio FM. Congo (Brazzaville), 2023.

Nouvelle en bref

Nous nous trouvons près du village Les Saras au cœur de la forêt luxuriante de Mayombe, ou la production de viande de gibier tourne à plein régime depuis l’ouverture de la RN1 en 2011. Chaque jour, plus de 200 animaux sont proposés à la vente. Au Congo-Brazzaville, la chasse est règlementée par un ensemble de lois, dont une qui prévoit les périodes de chasse légales dans le pays. Mais ils sont très nombreux à outrepasser ces lois. Les chasseurs racontent que des députés, des ministres, des sénateurs, des généraux et même les responsables des services des Eaux et forêts achètent du gibier sur ce marché, et les préviennent même des prochaines descentes de police en échange d’une réduction de prix. Toutefois, des solutions de rechange à la chasse et à la consommation de la viande illégale sont développées dans le village de Louaka, dans le district de Kakamoeka, grâce à une association de protection de la biodiversité dénommée Endangered Species International Congo. Ces solutions englobent la production de banane plantain et l’écotourisme.


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Mammifères, reptiles, volatiles… Dans la forêt du Mayombe, la production du gibier tourne à plein régime depuis la mise en service en 2011 de la RN1. Mais le gibier est chassé en toute illégalité en dépit des efforts des institutions de protection de la faune sauvage.

Nous sommes dans les environs du village Les Saras, en plein cœur de la luxuriante forêt du Mayombe, dans la région du Kouilou, à quelque 90 kilomètres à l’est de Pointe-Noire, la capitale économique du Congo-Brazzaville.

Bien que Les Saras soit célèbre pour sa production bananière, la région est désormais connue comme le « grand marché de la viande. » Depuis la mise en service de la RN1 en 2011, la région attire des chasseurs, des commerçants et des restaurateurs, qui font tous partie de la chaîne de valeur de la viande de gibier.

Ange est l’un des grands commerçants de viande de la région. « J’ai été mécanicien. Mais l’activité ne rapportait pas grand-chose. C’est pourquoi je me suis installé ici. »

Stéphane est un autre vendeur de viande de gibier. Il déclare : « Par le passé, la viande pourrissait parce que la zone était difficilement accessible par véhicule en raison du délabrement de la voie. C’est le client qui imposait les prix. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. En raison de la fluidité du trafic (Note de la rédaction : en moyenne 3000 véhicules par jour), nos produits ne chôment plus [sur les étagères]. »

Un céphalophe bleu, une antilope de petite taille se vendait à 3 000 FCFA (4,94 $ US), mais, aujourd’hui, il faut au moins 10 000 FCFA (16,49 $ US) pour se procurer un spécimen adulte. Le coût du céphalophe à bande dorsale noire varie entre 20 000 et 40 000 FCFA (32,97 $ US-65,95 $ US) contre 10 000 à 15 000 FCFA (16,49 $ US-24,73 $ US) par le passé.

Ange affirme que c’est une activité qui rapporte gros, au point qu’il a abandonné sa carrière de mécanicien. L’homme de quarante ans déclare : « Ce que je gagne? C’est un secret. Mais je gagne quand même mieux que dans la mécanique. »

Il est interdit de prendre des photos et des selfies ici. Stéphane m’avertit : « Ne fais pas de photos ni de selfies. On ne sait pas où est-ce ces photos se retrouveront et ça peut nous causer des ennuis. Et si tu insistes, je peux finir avec toi avec ce couperet. » Il achève un jeune pangolin d’un violent coup sur la tête pendant qu’il parle.

Au Congo-Brazzaville, la chasse est règlementée par une série de lois, dont une qui fixe les périodes légales de chasse.

La loi indique que la chasse sportive est fermée du 1er novembre au 1er mai. Et même pendant la période d’ouverture de la chasse, les chasseurs doivent disposer d’un permis de chasse délivré par le ministère de l’Économie forestière.

Les peines sont lourdes pour les personnes qui enfreignent cette loi. Une Loi prévoit des peines d’emprisonnement ferme et de fortes amendes d’au moins cinq millions de FCFA (2 410 $ US) pour des infractions telles que la chasse hors de la zone du permis, la chasse sans permis et l’abattage des animaux protégés.

Les amendes sont même plus lourdes lorsque le contrevenant travaille aux Eaux et forêts ou à la police.

Mais la grande majorité outrepasse ces lois. Stéphane explique : « Députés, ministres, sénateurs, généraux, hauts fonctionnaires des Eaux et forêts, tous ces responsables s’arrêtent ici pour acheter la viande de gibier. »

L’administration forestière s’est abstenue de se prononcer sur la question sans évoquer la moindre raison. Toutefois, des témoignages recueillis sur le terrain indiquent que c’est une affaire de copinage entre le ministère des Eaux et forêts et toutes les personnes impliquées dans les marchés de la chasse illégale.

Un commerçant qui préfère garder l’anonymat explique : « Ce sont les agents des Eaux et forêts eux-mêmes qui nous préviennent de leurs descentes. Nous quittons les lieux avant leur arrivée. En contrepartie, nous leur donnons 1 000 FCFA par bête. Voilà pourquoi, on ne nous attrape jamais. »

Cependant, même les personnes qui sont impliquées dans cette activité illégale savent qu’elle entraîne des conséquences néfastes pour la faune du Mayombe. Chaque jour, plus de 200 animaux sont exposés sur les marchés. Multiplié par 365 jours, il est possible d’imaginer un avenir où la faune du Mayombe pourrait disparaître entièrement. »

Les signes avant-coureurs sont déjà visibles. Lucien est originaire du village avoisinant de Doumanga. Il déclare : « Entre 2012 et 2015, c’était une zone très giboyeuse. Il suffisait de marcher sur à peine trois cents mètres pour que tu rencontres une bête. Mais, aujourd’hui, il faut parcourir près de cinq, voire sept kilomètres. »

Les sombres possibilités de ce commerce poussent déjà certains à chercher leur subsistance par d’autres moyens. Joseph Ouboudama est un paysan du village de Kissila. Il déclare : « Je faisais la chasse. Mais depuis qu’on juge et condamne des humains pour braconnage ou chasse illégale, j’ai résolu de ne pratiquer que l’agriculture. Et j’ai même horreur de manger la viande de chasse, avec ces histoires de maladies véhiculées par des animaux. »

Monsieur Ouboudama continue : « Dire que ces gens-là ont raison de pratiquer la chasse illégale? Non, ils n’ont pas raison. Ils ont besoin de mesures d’accompagnement. »

Des solutions de rechange à la chasse et la consommation de viande illégale sont en cours de développement dans le village de Louaka, dans le district de Kakamoeka, grâce à une association de protection de la biodiversité dénommée Endangered species international Congo, ou ESI Congo.

Cette ONG œuvre depuis 2015 pour la protection des espèces en voie d’extinction, mener des recherches scientifiques sur les primates, offrir une éducation environnementale aux populations locales, promouvoir la gouvernance locale et surtout appuyer le développement communautaire.

Siham Benmamar est l’assistant de coordination à ESI Congo. Il explique : « On travaille de manière extrêmement étroite avec les populations du district de Kakamoeka… En vue de réduire la chasse et d’augmenter d’autres solutions, on s’est rendu compte qu’il y avait un fort besoin de pratiquer l’agriculture et particulièrement la production de la banane plantain. On a ainsi introduit plusieurs techniques culturales… On structure également la chaîne de valeur agricole, du champ jusqu’à l’assiette. On organise aussi des voyages écotouristiques dont les retombées bénéficient aux communautés à travers la formation des chasseurs à l’effet de les convertir en guides. C’est vrai que ce n’est pas une solution durable à la chasse, mais on peut considérer que c’est un début de solution. »

Bien que Louaka soit dans le Mayombe, il est en retrait de la RN1. Les braconniers œuvrant le long de la RN1 ne bénéficient donc pas des activités d’ESI Congo.

Par conséquent, la chasse demeure intense à Mayombe, d’où l’impérieuse nécessité de définir des moyens efficaces d’appliquer les lois relatives à la faune et d’introduire des solutions de rechange qui détourneront les populations des activités de chasse illégales.

Les noms de certaines personnes mentionnées dans la présente nouvelle ont été changés pour protéger leur vie privée.