L’exploitation des ressources naturelles à Basoko, un des huit territoires de la province de la Tshopo, au Nord-est de la République démocratique du Congo, n’est pas perçue par les communautés locales comme étant un moyen de développement. Dans les chefferies de Yaliwasa et Mongandjo, la population attribue ses malheurs aux exploitants forestier et minier.
A Yaliwasa, la société chinoise la Forestière pour le Développement du Congo (Fodeco) y a acquis depuis août 2015 une concession forestière de 260.041 hectares qui s’étend sur quatre groupements de cette chefferie, à savoir Yawina-wina, Onduka, Opando et Mohange. Mais pour non-respect des clauses contractuelles, les activités de la société ont été suspendues par le gouvernement depuis novembre 2019.
Avant cette suspension, les chinois ont eu à couper les arbres dans tous les villages de ces quatre groupements. Ils avaient même débordé jusqu’à Koki, groupement qui n’est pas inclus dans leur concession. C’est l’une des causes pour lesquelles les activités de la société ont été suspendues par le ministère de l’environnement.
En tant qu'organisation journalistique non lucrative, nous dépendons de votre soutien pour financer le journalisme qui couvre les sujets peu médiatisés dans le monde. Faites un don aujourd'hui, quel que soit le montant, pour devenir un Champion du Centre Pulitzer et avoir d'avantages exclusifs!
« Il y a eu des mésententes avec les ayants droit. La société leur avait remis l’argent pour qu’ils construisent des infrastructures sociales, notamment les écoles, mais rien n’a été fait. Ensuite la société a décidé de s’occuper elle-même de la construction d’un hôpital mais la population s’y est opposée. Les communautés tiennent mordicus qu’on leur jette un pont sur la rivière Mokeke alors que ceci n’est pas prévu dans le cahier des charges», a justifié un collaborateur des chinois, trouvé dans leur campement construit dans un village enclavé dans la forêt, à 7 km du chef-lieu du territoire.
Du côté des communautés, il est inadmissible que les chinois leur imposent des règles.
« Lorsque les chinois sont arrivés avec leurs informateurs, ils ont choisi eux-mêmes quelques projets à réaliser. Suite à l’opposition de la population, ils avaient finalement fait signer un seul cahier des charges à tous les trois groupements sur lesquels est répartie leur concession. Et pourtant nous voulions que chaque groupement négocie son propre cahier des charges. Malheureusement, les chinois s’étaient imposés », a renseigné Florent, enseignant et négociateur d’un des groupements.
A près de 100 km de Yaliwasa, une autre société chinoise, Xiang Jiang Mining, exploite l’or sur la rivière Aruwimi, dans le secteur de Bangelema-Mongandjo. Non seulement que cette société travaille sur base d’un simple permis de prospection, déjà expiré, mais également elle n’a jamais signé, préalablement, le cahier des charges avec les communautés locales, comme l’exige l’article 403 du règlement minier.
« Cette entreprise chinoise ne possède que le permis de recherche mais curieusement elle est déjà dans l'exploitation. Madame la ministre des mines avait d'ailleurs déjà ordonné la suspension des activités de cette entreprise mais elle n'avait pas obtempéré », avait déclaré en janvier 2022, la vice-première ministre, ministre de l’environnement lors de son passage à Basoko, son fief électoral.
A Kinshasa, l’adresse de la direction de cette entreprise telle qu’indiquée dans ses documents est introuvable. A la place, ce sont plutôt des magasins de vente des matériels de construction. Aucune trace de Xiang Jiang Mining.
Pour les communautés locales, cette situation est inadmissible au motif que cette société serait venue épuiser leurs ressources naturelles sans contrepartie.
« Ils étaient venus pour faire la prospection mais aujourd’hui ils sont dans l’exploitation, nous ne savons pas par quelle magie et sans avoir négocié les causes sociales avec les communautés. C’est la liste de présence d’une réunion à laquelle ils nous avaient conviée lorsqu’ils étaient arrivés qu’ils ont transformée plus tard en cahier des charges. Il est inadmissible que l’exploitation minière faite dans nos villages nous appauvrisse au lieu de nous enrichir », a déclaré Atikeli Rocky, chef de l’un des sept groupements du secteur de Bangelema-Mongandjo.
La santé et les droits de l’homme, les cadets des soucis des exploitants chinois
Les habitants de Yaliwasa avaient cru au changement avec l’arrivée de Fodeco dans leur secteur. Ils ont vite déchanté. Non seulement qu’ils déplorent la rareté des chenilles, un mets très prisé dans le coin, depuis que les chinois ont commencé à couper les arbres à proximité de leurs villages, mais ils se plaignent aussi que la chasse soit devenue quasiment impossible, car les animaux ont fui les bruits des tronçonneuses et la destruction de leur habitat.
« Nous étions contents d’accueillir chez nous pour la première fois une société étrangère. Nous avions cru qu’elle va nous apporter le développement, mais hélas ! De tout ce que nous étions convenus avec les chinois, rien n’a été réalisé. Et pourtant ils ont coupé les arbres même jusqu’à proximité de nos maisons et certains tombent dans nos champs et étangs, nous privant des poissons. Depuis trois ans nous avons du mal à trouver des chenilles alors qu’auparavant on en cueillait pêle-mêle, la viande de brousse est devenue rare vu que les animaux se sont réfugiés trop loin à cause de la coupe sauvage d’arbres », a ajouté un autre négociateur.
Du côté des ouvriers, ils déplorent les conditions dans lesquelles ils travaillent. A les croire, ils travaillent sans contrat, ils n’ont pas droit aux avantages sociaux. Bref, ils accusent les chinois de se comporter en colons.
« J’ai travaillé pendant trois ans pour Fodeco comme journalier. Nous travaillions même le dimanche, donc, nous n’avions pas un jour de repos. Et s’il t’arrive un accident pendant le travail, tu te prends seul en charge. Au cas où tu vas te faire soigner et que tu traînes, au retour tu trouves qu’on t’a déjà remplacé. Ils nous traitent comme si nous sommes leurs esclaves. Ils se promènent avec bâtons en mains. Si on te trouve en train de te reposer, on te bastonne », a glissé un ouvrier de la société chinoise, sous couvert d’anonymat.
A Liambe, l’une des sept localités de Bangelema-Mongandjo, des cas de lésions corporelles sont de plus en plus nombreux depuis que cette société chinoise exploite l’or sur la rivière Aruwimi, principale source d’eau dans ce village. Quant aux nouveau-nés, plusieurs sont touchés par une maladie qui ressemble à la rougeole, d’après des témoignages recueillis auprès des infirmiers de l’unique centre de santé de Liambe.
« On ne cesse d’accueillir des cas de maladies inhabituelles depuis que l’eau de la rivière Aruwimi est devenue boueuse à Liambe. C’est remarquable surtout chez les femmes et les nouveau-nés. La plupart de femmes que nous recevons ont des problèmes de lésion corporelle. Pour le seul mois d’octobre 2022, nous avons soigné trente-sept cas. Chez les nouveau-nés, il se développe une maladie que nous avons dénommée ‘Tumba mbila’ qui ressemble à la rougeole », a témoigné Gilbert N’djafe, infirmier au centre de santé de Liambe.
Des communautés prêtes à défendre leurs milieux de vie au prix du sacrifice
A Liambe, les exploitants chinois sont considérés comme des prédateurs. A en croire les personnes interrogées, les communautés sont prêtes à en découdre pour protéger leurs milieux de vie.
« Notre survie est sérieusement menacée par les activités des chinois. La rivière Aruwimi est notre seule source d’eau mais malheureusement elle est devenue boueuse, les poissons deviennent de plus en plus rares dans la rivière alors que c’est notre aliment de base. Si les chinois continuent de faire le forcing parce qu’ils ont l’appui de Kinshasa et de Kisangani, ils vont devoir nous exterminer tous », a fulminé Alphonse Iyombe, chef de localité de Liambe 2.
A Yawina-wina, c’est le même son de cloche. Les communautés ne veulent pas revoir les chinois reprendre la coupe des bois dans leurs villages. Leur souhait est de voir Fodeco être remplacée par une autre société.
« Tout ce que nous voulons, c’est le départ des chinois de chez nous. Ils ont exploité notre forêt pendant trois ans, mais n’ont réalisé aucun projet pour les communautés locales, protectrices de cette forêt. Ils font plus confiance aux décideurs de Kinshasa et de Kisangani à qui ils donnent beaucoup d’argent. Nous préférons demeurer pauvres que d’être maltraités par les chinois sur notre propre sol », a dit l’un des collaborateurs du chef de groupement.
En ce qui concerne le respect des normes environnementales par les sociétés qui exploitent les ressources naturelles dans ce territoire, aucune n’est modèle. Selon une source interrogée à la coordination territoriale de l’environnement, les agents de ce service public ne sont pas les bienvenus dans leurs concessions.
« J’ai l’impression que les sociétés qui viennent ici ont quelque chose contre l’environnement. La Fodeco par exemple, elle coupe les arbres n’importe où et n’importe comment. Vous les voyez couper des arbres qui n'ont pas encore atteint le volume requis, elles en coupent dans des endroits marécageux, milieux préférés de certains poissons. Le mot reboisement n'existe pas dans leur dictionnaire », a allégué un agent qui a requis l’anonymat par peur des représailles.
Et de poursuivre : « Ces sociétés n'acceptent pas que les inspecteurs de l'environnement pénètrent dans leurs concessions. Et si nous osons faire le forcing, ils appellent leurs protecteurs de Kinshasa ou de Kisangani pour qu'on leur envoie des militaires. Du coup, nous nous sentons désarmés ».
La société civile de Basoko partage ce point de vue. Elle pense que si les sociétés qui exploitent les ressources naturelles dans ce territoire se comportent en conquérants, c’est parce qu’elles bénéficient de l’appui de certaines autorités politico-administratives tant au niveau provincial à Kisangani, que national à Kinshasa.
« Certaines entreprises essayent d’entretenir des bonnes relations avec la population. Mais en majorité les relations exploitants-communautés restent tendues. La population organise régulièrement des mouvements de revendication mais il y a aucun changement.
« Nous avons compris que ces gens ont des appuis au niveau du gouvernement provincial et central », a allégué Simon Malongola, président de la société civile de Basoko.
Il convient de noter que six sociétés exploitent les ressources naturelles dans ce territoire de 22.436 km2, à savoir Forabola, Sodefor, Fodeco, Congo Futur KL, PHC et Xiang Jiang Mining.
Malgré la présence de toutes ces entreprises, la misère est perceptible dans cette partie de la province de la Tshopo. Il suffit de débarquer dans le chef-lieu du territoire qui porte le même nom pour s’en rendre compte. Aucune infrastructure de base: pas de routes, pas d’eau ni électricité, pas de moyens de transport en commun, des vieux bâtiments en état de délabrement très avancé, car datant de l’époque coloniale.
Par Bienfait Luganywa, avec la participation de Ferha Ntumba, Ruben Mayoni et Constance Tekitila.