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Article Publication logo novembre 15, 2021

Conservation de la nature : en RDC, le parc sanctuaire qui cache des batailles amères

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People gathered at Simien Mountains National Park. Ethiopia, date unknown.
Anglais

Since the 1960 and 1970s, in several parts of Africa, international western organizations have...

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Des rangers du parc Kahuzi-Biega, le 30 septembre 2019. Image de Alexis Huguet. DRC, 2019.

Au milieu des grandes étendues de forêts accidentées abritant une rare biodiversité du parc national de Kahuzi-Biega (PNKB), dans l’est de la République démocratique du Congo, quelques tombes émergent de la végétation. Cette destination touristique à l’histoire tourmentée fut le terrain de conflits, il y a encore quelques années, entre les membres du peuple Batwa (aussi appelés pygmées) et les 255 écogardes d’Etat. Les premiers, privés de terres depuis la création de l’aire protégée en 1970, vivent dans la misère, tandis que les seconds défendent la conservation de la nature dans ce parc connu pour héberger les seules familles de gorilles des plaines de l’Est de l’Afrique, une sous-espèce endémique de la RDC. La déforestation s’ajoute ici au braconnage et à l’exploitation des minerais, sur fonds de conflits armés régionaux. La réalité du lieu, complexe, est emblématique des débats qui agitent le milieu de la conservation : comment préserver la nature sans affecter les populations qui vivent là où des parcs ont été créés ?

Le parc du Kahuzi-Biega a été fondé en 1970 par le dictateur Mobutu Sese Seko – au pouvoir de 1965 à 1997 – sur les fondations administratives d’une ancienne réserve coloniale belge. Avec sa faune luxuriante d’espèces rares et en péril, dont treize primates et de nombreux oiseaux uniques, le parc devient un symbole international de la préservation de la nature. Autour des volcans éteints Kahuzi et Biega, culminant à près de 3 000 mètres, la forêt est sanctuarisée, souvent par la force. Ses habitants, 200 familles de Batwas et d’autres communautés dont la survie dépend de l’accès aux ressources de la forêt, sont délogés sans compensation financière et la sécurité du parc est assurée par des militaires, accusés de multiplier les exactions.

«A la création du parc, le Congo vivait une époque sombre et violente. Mobutu a toujours eu des méthodes brutales et peu soucieuses des questions des droits de l’homme. C’est cette approche qui a été appliquée au parc», explique Dominique Bikaba. Avec sa carrure toute en rondeurs et son large sourire, il est l’un de ceux qui connaissent le mieux l’histoire de ce conflit obscur. «Né au village», il a été élevé par une femme Batwa plus que par sa mère, avant de se passionner pour la protection de Kahuzi-Biega et de fonder son ONG, Strong Roots, qui tente d’apporter des moyens de subsistance aux populations vivant autour du parc par le don de semences, de bétail ou la plantation d’arbres pouvant être exploités.


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Base arrière des rebelles rwandais

En 1975, le parc est agrandi. Il passe de 60 000 à 600 000 hectares, engloutissant une partie des terres arables qui produisaient plantains et maniocs pour les populations locales. «Les terres étaient possédées selon le droit coutumier, sans acte de propriété écrit. Les autochtones ont donc perdu devant les tribunaux, et revendiquent depuis des compensations. Entre-temps, la population s’est multipliée et les besoins agraires ont explosé», retrace Dominique Bikaba. L’année 1985 marque un nouveau tournant dans la gestion du parc. Soutenu par la banque de développement allemande KfW, un projet de conservation intégrée au développement est mis sur pied pour «prendre en compte les intérêts des populations riveraines dans la gestion afin d’assurer la durabilité du parc». Mais le plan tourne court. Le génocide rwandais de 1994 et la crise des Grands Lacs qui s’ensuit déstabilisent la région. L’afflux de réfugiés rwandais, victimes comme génocidaires, importe le conflit dans le Kivu congolais limitrophe. Les guerres du Congo ravagent la sous-région, où pullulent alors les milices armées.

Avec moins de 200 écogardes pour patrouiller la zone, le parc devient progressivement une base arrière pour les nombreuses organisations rebelles rwandaises, qui s’adonnent principalement au braconnage et à l’exploitation minière, avec l’aide volontaire ou forcée des populations locales. Résultat, la population de gorilles dans le parc chute de 77 % entre 1996 et 2016, tandis que le lien entre les Batwas et la forêt continue à se distendre et que leur culture disparaît progressivement. «Si les écosystèmes du parc continuent à être détruits, cela pourrait déstabiliser la sous-région car beaucoup d’entreprises et de grandes villes dépendent de sources d’eau situées dans le parc et de la régulation climatique qu’il permet», assure Josue Aruna, directeur exécutif de l’ONG Congo Conservation Society.

«Les villageois ont décidé d’entrer dans le parc»

«Intoxication», «manipulation», «instrumentalisation». Interrogés sur la situation actuelle de ces 600 000 hectares, les acteurs du dossier n’emploient pas de mots tendres. Le parc a encore été il y a peu le théâtre d’un conflit qui a coûté la vie à plusieurs personnes, du côté des Batwa comme des écogardes. L’origine des tensions ? Un projet financé par la Banque mondiale. L’institution internationale rattachée à l’ONU aurait accordé «autour de 60 000 dollars» en 2017, d’après Hubert Mulongoy Dumarché, responsable de la communication du parc, à une ONG (dont Libération n’a pas pu confirmer le nom) pour acheter des terrains pour des communautés batwas et y faire construire des maisons.

«Ce fut le ver dans le fruit, raconte Dominique Bikaba, slalomant entre les nids-de-poule au volant de son 4X4 blanc en direction de la forêt. L’ONG avait choisi 2 hectares près de la ville de Kalehe. Lorsque les Pygmées ont voulu planter des cultures pérennes comme le manioc, le propriétaire a refusé et leur a révélé qu’ils n’étaient en fait que locataires des terres.» Pire, les maisons construites ne sont que des petites cabanes de tôle et de terre, même pas de quoi loger une famille avec enfants. La Banque mondiale n’a pas donné suite aux plaintes qui lui ont été transmises, assure Hubert Mulongoy Dumarché. «C’est alors que les villageois ont décidé d’entrer dans le parc», retrace Dominique Bikaba.

Autour de juin 2018, plusieurs groupes de Batwas ont bravé l’interdit administratif et pénétré dans le sanctuaire du parc. Dans un document interne du principal bailleur de fonds du parc, la banque de développement allemande KfW, qu’a pu se procurer Libération, on peut lire : «Le PNKB a été victime d’une destruction du couvert végétal de plus de 450 ha depuis juin 2018 jusqu’à fin 2019 dans sa partie haute altitude, ce qui représente au minimum 7,5 % de la surface de cette partie du parc la plus riche en biodiversité et la plus accessible. Les destructeurs ont mis en place un véritable système d’exploitation de carbonisation, sciage des planches, braconnage, exploitation minière artisanale, etc.»

Certains Batwas décident en fait de créer un système de permis d’accès. Contre quelques dollars ou un sac de charbon, ils ont laissé entrer des exploitants que plusieurs personnes nous ont désignés comme faisant partie de la majorité Bantoue, et en lien avec des «businessmen» de la ville voisine de Bukavu. «A la recherche de moyens de subsistance et une des principales communautés victimes de la pauvreté, les Batwas recherchent des revenus, ceci peut expliquer partiellement l’origine des réactions des Batwas pour s’adonner à l’exploitation abusive du parc», lit-on encore dans le rapport. «En plus du bois, il y a de l’or et des minerais dans le parc, explique Dominique Bikaba. Ça a attiré beaucoup de monde.» Notamment des groupes armés qui circulaient dans la zone.

«Volonté de mettre fin aux violences»

Selon Floribert Cirhuza, coordinateur de l’ONG Innovation et formation pour le développement et la paix (IFDP), «le nœud du problème est que les Batwa ont été accompagnés par certaines ONG qui les ont poussés à envahir le parc pour réclamer leur droit sur les terres qu’ils ont perdues. C’était une stratégie pour obtenir des financements. Mais ça a surtout été dommageable aux Batwas eux-mêmes». Pendant cette période, alors que la forêt disparaît à grande vitesse, des affrontements éclatent entre des écogardes, qui sont armés, et des Pygmées, équipés de machettes. D’après le parc, sept écogardes ont été tués depuis 2018 par des Batwas. Impossible de savoir combien de Pygmées ont perdu la vie.

En septembre 2019, plusieurs ONG locales ont décidé de réunir autour d’une table les représentants du parc et des villages Batwas. Une feuille de route engageant toutes les parties à faire des efforts pour établir une situation viable à long terme a émergé des discussions. «Des deux côtés, il y avait une volonté de mettre fin aux violences», analyse Dominique Bikaba.

Pour rassurer ses bailleurs de fonds, le Kahuzi-Biega tente alors de passer d’une gestion policière éculée à une approche dite «intégrative» dont le but est de garantir de bonnes conditions de vie pour les populations locales tout en protégeant les écosystèmes naturels. Tout doucement, la relation entre le parc et les autochtones s’améliore. Des négociations sont ouvertes pour permettre aux Batwas d’avoir accès à la forêt, notamment pour leurs rites ancestraux. Le sacrifice du mouton est autorisé et célébré début 2021 en présence de tous les acteurs. «Les Batwas ont respecté leur part du marché, ils ont quitté le parc, souligne Dominique Bikaba. Maintenant, ils attendent des ONG et du parc qu’ils respectent la leur, en leur fournissant les terres en dehors du parc et le matériel nécessaire pour cultiver et assurer leur subsistance.»

«Lorsqu’on vous prend votre bien, on vous indemnise. Nous, on nous tue»

En cette fin août, dans une vallée ensoleillée, perdue au milieu des collines couvertes d’arbres à thé, le village batwa de Buyungule laisse deviner la misère qui y règne. Les maisons, faites de tôle et de bouts de ficelle, ont l’allure de bidonville. Aucun commerce, pas même un troquet. Le chemin de terre qui serpente au milieu des plantations est parsemé de plants de cannabis abandonnés aux passants. La venue de Dominique Bikaba accompagné de journalistes français est un événement qui attire tout le monde. Des femmes âgées dansent en guise d’accueil.

Pour notre venue, les adultes se regroupent dans le plus grand bâtiment, l’église, en s’entassant sur des bancs en bois brinquebalants. Rapidement, les voix montent, se répondent avec véhémence. L’attitude à adopter face à la direction du parc crée visiblement des dissensions. Pierre, la voix posée, un t-shirt bleu ciel sur les épaules, résume la situation : «Nous avons respecté notre part de l’accord de 2019, mais pas le gouvernement. Il a toujours refusé de reconnaître l’homme pygmée comme citoyen congolais. Lorsqu’on vous prend votre bien, on vous indemnise normalement. Nous, on nous tue.» L’homme appelle tout de même au calme, alors qu’une femme se lève et menace : «Nous allons retourner dans la forêt si rien n’est fait ! Et on l’exploitera pour survivre !» Pierre reprend : «On veut juste des semences et des terres pour cultiver et envoyer nos enfants à l’école.»

«Les écogardes vivent dans la misère et risquent leur vie»

Soudain, un petit homme aux habits trop grands et en bottes de caoutchouc jaunes s’avance au milieu de l’assemblée. Son nom est Muchiga Kakeso, c’est un des pisteurs du parc. Quand on l’interroge sur les accusations de violences de la part des écogardes, il lance : «Je suis aussi pygmée. Faire souffrir les Pygmées, c’est me faire souffrir moi aussi.»

Début 2020, le bailleur du parc, la banque de développement allemande, sous la pression d’ONG, a décidé de prendre une décision radicale : suspendre tous ses financements au parc et aux écogardes. S’engagent des négociations avec l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN), l’autorité chargée de la conservation des aires protégées et à laquelle est rattaché le parc, pour établir de nouvelles pratiques en échange d’un retour des fonds. Fin 2020, un accord a bien été conclu, mais l’argent peine à revenir. Sur le terrain, personne ne soutient ce virage de la KfW. La coupure du robinet financier a signifié une suspension de plusieurs programmes de conservation, de soutien aux communautés et des salaires des écogardes. Muchiga Kakeso, le pisteur, le confirme. «Ça fait plus de dix mois qu’on n’a pas été payés.» D’un autre côté de la salle, une jeune femme, un bébé accroché dans le dos renchérit : «Mon mari est aussi pisteur. Quand ils ont coupé les salaires, les enfants n’ont plus pu aller à l’école. On n’avait plus de vêtements.»

Le parc n’a-t-il donc aucun fond propre pour compenser ces pertes ? «Il y a un désintérêt de l’Etat. L’ICCN est l’institution qui reçoit le moins d’argent public du pays, lâche Hubert Mulongoy Dumarché. Le métier d’écogarde, personne ne peut l’envier. Ils vivent dans la misère et risquent leur vie.» Une solution existant dans les autres parcs du pays a récemment émergé : faire passer le PNKB en statut partenariat public-privé. Selon nos informations, des négociations sont en cours au niveau gouvernemental avec l’agence de financement américaine US AID.

«Aujourd’hui, les autochtones sont devenus des populations errantes»

Comme si ces tensions ne suffisaient pas à rendre la situation du parc inflammable, des groupes armés en ont investi certaines zones, notamment les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), profitant des ressources naturelles. En juillet et août, l’armée congolaise a organisé des opérations de ratissage dans la forêt, faisant naître de nouvelles rumeurs de violences des écogardes.

Alors que faire pour combler le fossé entre le parc et ses voisins ? «Nous cherchons un moyen légal pour attribuer des terres à une communauté et non à un individu, pour éviter l’accaparement des ressources par quelques-uns», explique Hubert Mulongoy Dumarché. Mais la clé de l’intégration des Pygmées, selon la quasi-totalité des acteurs du dossier, reste l’éducation. Le parc s’est fixé l’objectif de scolariser 1 500 enfants pygmées, contre 700 actuellement. «Aujourd’hui, les autochtones sont devenus des populations errantes. Elles ont perdu leur identité car elles n’ont plus de terre et ne savent pas s’intégrer à notre système, se désole Esperance Binyuki Nyota, responsable du Réseau des organisations despeuples autochtones pour la gestion de l’écosystème forestier. Il faut avant tout leur apporter un savoir-faire, leur apprendre une autre relation à l’agriculture et l’éducation. Sans ça, ils ne pourront jamais se sentir chez eux.»